Ma vie en pédiatrie (toute ma vie ?), épisode 10
* Mardi 18 novembre 2008 *
On n'est jamais sûrs de rien. Je me bats depuis 2 ans et demi pour que plus rien ne m'atteigne, pour ne plus souffrir de la souffrance des autres. J'ai persévéré , jai pas abandonné, j'y suis arrivé. Aujourd'hui j'ai rechuté.
J'adore arriver le matin et trouver de nouveaux patients inscrits sur le tableau. Zoé, 4 mois, bronchiolite, Mohamed, 12 ans, appendicite... Des enfants qu'on va soigner et qui partiront en nous offrant un dessin et en nous faisant un bisou. Aujourd'hui, il y à aussi Caroline, 14 ans. "Entrée cette nuit pour tentative de suicide par pendaison". Je suis toute glacée à l'intérieur. Y'a une boule dans ma gorge et mes yeux sont mouillés. On ne veut pas mourir à 14 ans. On veut mourir à 14 ans ? Je passe devant sa chambre, elle est assise dans un fauteuil, elle regarde, y'à la trace de la corde sur son trop jeune cou. Tout son noir, toutes ses émotions, me sautent dessus. J'ai pas le temps de les éviter, une violente claque donnée par surprise. Sous le coup de cette claque je titube. Et puis je vois trouble. Je ne comprends pas. J'ai peur. Comme si c'était contagieux. Le suicide ça s'attrape ? Ca aurait ptèt été autrement si elle avait avalé 10 dafalgan. Là elle s'est pendue, elle a 14 ans et l dessin qu'elle nous laisse c'est celui de la marque de la corde sur son cou.
Ma prof arrive pour m'évaluer. Elle ne pourra qu'évaluer que je suis déstabilisée, que je ne sais plus claculer un débit et que le petit Mohamed ne recevra pas ses antibiotiques si je laisse la perf fermée. J'ai le droit d'être touchée, mais pas au détriment des mes patients. J'ai pas assuré. Je ne contrôle pas, on ne peut pas sauver tout le monde, surtout pas ceux qui ne le veulent pas. Tout est mélangé dans ma tête. Mais vivre, c'est quand même plus difficile que mourir. Je ne sais pas si elle voulais rater, je ne sais pas si elle veut réessayer, et réussir. Jsais juste que ce matin, c'était comme si elle avait voulu tout me dire, en coup de vent, sans parler. Et moi j'ai tout prit.
Caroline a été transférée dans un service de pédopsychiatrie à 14h. Elle a la trace de la corde sur son cou. Et moi j'ai sa trace dans moi.